Ängsälvor, « elfes de la prairie », 1850, peinture de Nils Blommér.
Un elfe est une créature légendaire anthropomorphe dont l'apparence, le rôle et la symbolique peuvent être très divers. À l'origine, il s'agissait d'êtres de la mythologie nordique, dont le souvenir dure toujours dans le folklore scandinave. Les elfes étaient originellement des divinités mineures de la nature et de la fertilité. On les retrouve dans la mythologie celtique, puisque quelques textes irlandais et écossais les évoquent.
Leur figure est reprise plus tard dans la littérature, comme élément merveilleux du conte de fées et de la fantasy. Le succès des récits de J. R. R. Tolkien, dans lesquels des personnages beaux, nobles et sages sont désignés comme des elfes en font un archétype du personnage de fantasy et du jeu de rôle. L'apparence de l'elfe dans la perception des connaisseurs de la fantasy s'est modifiée du fait de son succès littéraire. Ils deviennent des êtres d'apparence jeune et de grande beauté, vivant le plus souvent dans des forêts, considérés comme immortels et dotés de pouvoirs magiques, et se distinguant physiquement des humains par leurs oreilles pointues et une apparence plus svelte.
La description la plus ancienne des elfes provient de la mythologie nordique. Dans les textes médiévaux envieux norrois (ancien islandais), ils sont nommés álfar (au singulier álfr). Ce nom est dérivé dans les langues scandinaves modernes :
- islandais : álfur (pluriel álfar), álfafólk (« peuple des elfes »)
- danois : elver, elverfolk, parfois ellefolk ou alf (pluriel alfer)
- norvégien : alv (pluriel alver), alvefolk
- suédois : alv (pluriel alver), au féminin älva (pluriel älvor)
- scots : elfen
L'ancien mot scandinave álfar dériverait d'une racine proto-indo-européenne, albh, signifiant « blanc », qui se retrouve par exemple dans le latin albus « blanc ». Cette théorie linguistique explique que des noms semblables au álfar se retrouvent aussi dans les langues germaniques anciennes et modernes. Ces noms présentent souvent des variantes, dues à des différences dialectales ou à des influences d'une langue à l'autre, du fait de la large circulation du thème littéraire.
Dans les langues germaniques occidentales :
- anglais : elf (pluriel elfs ou elves) ; en vieil anglais ælf, elf (pluriel ylfe)
- néerlandais : elf ou alf (pluriels elfen ou elven, alven) ; en moyen néerlandais alf
- allemand : le vieux haut-allemand alp a donné dans la langue la forme Alp, Alb (pluriels Alpen, Alben) qui désigne traditionnellement un incube ou un démon nocturne provoquant le cauchemar (qui se dit Albtraum ou Alptraum « rêve d'elfe »). La langue moderne a emprunté à l'anglais la dénomination de l'elfe : Elfou Elfe (pluriel Elfen). Il existe aussi la forme mixte Elb ou Elbe (pluriel Elben) ; Elbe est attesté en moyen haut-allemand.
Dans les langues germaniques orientales :
- gotique : le mot est indirectement attesté dans l'anthroponyme Albila cité par Procope de Césarée.
De nombreux prénoms germaniques sont tirés du nom de l'elfe : en vieil anglais : Ælfric, Ælfwine, Ælfréd (moderne Alfred), en allemand Alberich. C'est aussi le cas de quelques anciens noms français d'origine germanique, tels qu'Auberon et Aubry.
Langues germaniques vers l'an 900.
Rouge : Scandinave occidental (norrois)
Orange : Scandinave oriental
Jaune : Vieil anglais
Vert : Vieux haut-allemand, vieux néerlandais…
Bien qu'aucune description ancienne ou moderne n'existe, l'apparition de créatures étymologiquement liées aux álfar dans nombre de folklores postérieurs suggère fortement que la croyance dans les elfes fut commune parmi les peuples germaniques, et non limitée exclusivement aux antiques peuples de Scandinavie.
Les elfes apparaissent de diverses manières dans la mythologie nordique (aussi appelée mythologie germanique). Ils sont généralement décrits comme des êtres semi-divins associés à la fertilité et au culte des ancêtres. Le concept d'elfe semble donc similaire aux croyances animistes dans les esprits de la nature et les esprits des morts, croyances communes à toutes les anciennes cultures humaines. On retrouve à l'identique dans la mythologie nordique, la croyance du fylgjur et du vörðar(« esprit totem » et « esprit protecteur »). De même les elfes sont communément comparés aux nymphes de la mythologie grecque et romaine, et à Vili et aux roussalki de la mythologie slave.
L'historien et mythographe islandais Snorri Sturluson se réfère parfois aux nains nordiques en tant que « elfes sombres » (dökkálfar) ou « elfes noirs » (svartálfar) mais c'est un abus de langage. Il s'agit de deux types de créatures différentes : les Elfes sombres habitant en Svartalfheim tandis que les nains sont en Nidavellir. En ce qui concerne les nains, il n'est pas certain que cela ne désigne pas une croyance scandinave médiévale plus tardive. Il se réfère aux autres elfes comme « elfes lumineux » (ljósálfar), qui seraient souvent associés à l'étymologie de elf. Snorri décrit leurs différences, d'après la prose de l'Edda (Gylfaginning 17) :
« Staðr d'einn de Sá heu þar, heu kallaðr heu Álfheimr. Þat de fólk de byggvir de Þar, heu heita de Ljósálfar, jörðu de í de niðri de búa d'en Dökkálfar, reyndum correct de ólíkari de miklu d'ok de sýnum de þeim de ólíkir de þeir d'eru. Sýnum de sól d'en de fegri d'eru de Ljósálfar, bik d'en de svartari d'eru d'en Dökkálfar. »
« Il y a un endroit là [dans le ciel] qui s'appelle la demeure elfe (Álfheimr). Les gens qui y vivent sont appelés les elfes lumineux (ljósálfar). Mais les elfes sombres (dökkálfar) vivent ci-dessous dans la terre, et ils ont une toute autre apparence — et très différents d'eux en réalité. Les Elfes Lumineux sont plus lumineux que le soleil en apparence, mais les Elfes Sombres sont plus ténébreux que… »
D'autres éléments à propos des Elfes dans la mythologie nordique proviennent de la poésie scaldique, de Edda poétique et des sagas légendaires. Les Elfes y sont liés au Æsir, en particulier par l'expression commune « Æsir et les Elfes », qui signifie vraisemblablement « tous les dieux ». Quelques universitaires ont comparé des Elfes aux Vanir (dieux de fertilité), mais dans Alvíssmál (« les Dires de Sagesse »), les Elfes sont distingués des Vanir et Æsir, comme indiqué par une série de noms comparatifs dans lesquels Æsir, Vanir, Elfes ont leurs propres traductions pour différents mots — reflétant ainsi leurs préférences raciales. Il est possible que ces mots indiquent une différence dans le statut entre les dieux principaux de Fertilité (les Vanir) et les divinités mineures (les Elfes).
Grímnismál relate que Freyr était le seigneur du Álfheimr (« monde des elfes »), la demeure des elfes lumineux. Lokasenna relate qu'un grand groupe de Æsir et d'Elfes s'étaient réunis à la cour de Ægir pour un banquet. Plusieurs êtres mineurs, domestiques des dieux, à l'exemple de Byggvir et Beyla, sont présentés comme appartenant à Freyr, seigneur des Elfes, et ceux-ci sont probablement eux aussi des Elfes, puisqu'ils n'ont pas été comptés parmi les dieux. On mentionne aussi un autre domestique, Fimafeng (assassiné par Loki) et Eldir.
Paracelse, dans son Astronomia magna (1537) et dans le Liber de nymphis, sylphis, pygmaeis et salamandris, compte sept races de créatures sans âme : les génies à forme humaine mais sans âme ni esprit (inanimata) des Éléments, les géants et les nains, les nains sur la terre. Il croit aux génies des quatre Éléments. La Terre, par génération spontanée, produit des nains qui gardent les trésors sous la montagne ; l'Eau produit les ondines ; le Feu, les salamandres ; l'Air, les elfes. Ensuite viennent les géants et les nains issus de l'air, mais qui vivent sur la terre.
« Le mot inanimatum désigne six familles d'hommes sans âme… Ces hommes sans âme sont d'abord ceux des quatre familles qui habitent les quatre Éléments : les nymphes, nymphae, filles de l'eau ; les fils de la terre, lémures, qui habitent sous les montagnes ; les esprits de l'air, gnomi ; les génies du feu, vulcani. Les deux autres familles sont composées d'hommes qui sont également nés sans âme ; mais qui, comme nous, respirent en dehors des Éléments. ce sont d'une part les géants et d'autre part les nains qui vivent dans l'ombre des forêts, umbragines… Il existe des êtres qui demeurent naturellement au sein d'un même Élément. Ainsi le phénix, qui se tient dans le feu comme la taupe dans ta terre. Ne soyez pas incrédules, je le prouverai ! Quant aux géants et aux nains de la forêt, ils ont notre monde pour séjour. Tous ces êtres sans âme sont produits à partir de semences qui proviennent du ciel et des Éléments, mais sans le limon de la terre… Ils viennent au monde comme les insectes formés dans la fange [par génération spontanée]. »
— (Paracelse, La grande astronomie. Astronomia magna (1537), trad., Dervy, 2000, p. 159–160.)
La distinction entre les alfes clairs du ciel et les alfes noirs des demeures souterraines dans la religion nordique ancienne influence la vision de ces créatures, Snorri Sturluson confond d'ailleurs les alfes noirs, forgerons et gardiens de trésors, avec des nains. Les hommes se méfient des nains et des alfes noirs, alors que les alfes clairs demeurent foncièrement bénéfiques.
Dès les débuts de la christianisation des germano-scandinaves, la croyance aux elfes est assimilée au paganisme, et sévèrement combattue. ce personnage entre dans la famille des démons du cauchemar, et du VIIe siècle au IXe siècle, les elfes, qui étaient vénérés dans les pays germaniques, sont rapprochés des nains maléfiques.
Un important syncrétisme se met en place. Dès le Xe siècle, la distinction entre les petits dieux issus des croyances païennes s'estompe, et les gloses des textes latins « attestent la fusion de créatures différentes ». La confusion entre nains et elfes va jusqu'au rapprochement définitif, bien que les textes du Moyen Âge laissent entrevoir quelques indices sur leur origine. « Sans doute bien entamée à l'époque de Perrault », la fusion des croyances est entretenue par la minimalisation des savoirs populaires au profit des textes gréco-latins.
Répartition moderne des langues germaniques en Europe
Dans le folklore scandinave, mélange postérieur de mythologie nordique et chrétienne, l'elfe est nommé elver endanois, alv en norvégien, alv (masculin) ou älva (féminin) en suédois.
Le terme norvégien apparaît rarement dans le folklore, et quand il est utilisé, c'est comme synonyme de huldrefolk (« peuple caché ») ou vetter, sortes de « lutins » liés à la terre, s'approchant davantage des nains de la mythologie nordique que des elfes. Au Danemark et en Suède, les elfes apparaissent comme distincts du vetter, bien que la frontière entre les deux créatures soit mal délimitée. Les petites fées ailées du folklore britanniques (pixie) sont souvent désignées comme älvor en suédois moderne ou alfer en danois, bien que la traduction correcte soit feer. De manière similaire, l'elfe du conte de fées L'Elfe de la rose de l'écrivain danois Hans Christian Andersen est si minuscule qu'il peut avoir un bouton de rose pour maison, et a les « ailes qui partent des épaules jusqu'aux pieds ». Cependant, dans La Colline des elfes du même auteur, les elfes sont plus semblables à ceux du folklore traditionnel danois : de splendides femelles, vivant dans les collines et les rochers, capables de faire danser un homme jusqu'à la mort. Comme le huldra en Norvège et en Suède, ils sont illusions une fois vus de dos.
Les elfes de la mythologie nordique semblent ainsi avoir survécu dans le folklore principalement comme femelles, vivant dans les collines et monticules des pierres (les tertres). Si la croyance au petit peuple est rare en France, les pays scandinaves connaissent une situation radicalement différente. Une école islandaise existe depuis 1991 pour promouvoir l'étude de ces créatures, et délivre un diplôme d'« études et recherches sur les elfes et autres peuples invisibles ». En vingt ans, 8 000 personnes l'ont décroché.
Ce qui subsiste des elfes dans le folklore des régions de langue allemande est leur nature espiègle et malfaisante. Ils étaient estimés capables de causer des maladies au bétail et aux gens. Ils apportent également de mauvais rêves aux dormeurs. Le mot allemand pour cauchemar, Albtraum ou Alptraum, signifie littéralement « rêve d'elfe ». Sa forme archaïque Albdruck signifie « pression d'elfe » ; la croyance populaire attribuait les cauchemars à un elfe assis sur la tête du dormeur. Cet aspect de la croyance elfique germanique correspond en grande partie à la croyance scandinave du mara. Elle est également semblable aux légendes concernant les incubes et les succubes, que l'on peut relier aux phénomènes d'apnée du sommeil.
Le « roi elfe » Alberich, probablement issu des croyances des Francs, devient le roi des nains dans l'épopée allemande médiévale du Nibelungenlied, attestant de la confusion entre ces deux types de personnages. Dans la littérature française, il est à l'origine du nom d'Aubéron, un nain de la chanson de geste médiévale Huon de Bordeaux.
Le « roi elfe » apparaît de temps en temps au Danemark et en Suède. En Norvège, Alberich donne le voleur nain Alfrik dans la Saga de Théodoric de Vérone. On trouve une postérité aux elfes du folklore germanique dans la tétralogie de L'anneau du Nibelung du compositeur allemand Richard Wagner. Ce dernier construit une mythologie personnelle qui s'inspire à la fois des Eddas scandinaves et du Nibelungenlied germanique, avec reprise, notamment, du personnage d'Alberich.
Conformément à l'Edda de Snorri Sturluson, les « Albes » de Wagner sont de deux natures :
- les « Lichtalben », « Elfes de lumière », assimilés par Wagner aux ases de l'Edda et aux dieux du panthéon germanique ayant Wotan à leur tête, qui se qualifie lui-même de « Licht-Alberich » ;
- les « Schwarzalben », « Elfes noirs », assimilés aux nains, peuple du Nibelheim, qui ont à leur tête Alberich, qualifié de « Schwarz-Alberich » par Wotan.
Dramatiquement, l'opposition entre « Licht-Alberich » et « Schwarz-Alberich » est structurante pour l'œuvre entière mais on aurait sans doute tort de n'y voir qu'une opposition simpliste entre bien et mal.
En effet, la première atteinte contre la nature (boire à la source de la sagesse et blesser le Frêne du Monde afin d'y tailler une lance, symbole du pouvoir sur le monde) est accomplie par Wotan, l'Elfe lumineux, bien avant qu'Alberich, l'Elfe noir, ne se rende coupable du vol de l'or du Rhin et de forger l'anneau, source apparente du drame qui est au centre de l'œuvre. L'opposition des deux Elfes apparaît alors plutôt comme les deux faces d'une même réalité, la commune soif de puissance.
On dit que l'on peut voir danser les elfes dans les prés, particulièrement les nuits et les matins brumeux. Ils laissent des espèces de cercles à l'emplacement de leur danse, dénommés älvdanser (« danses d'elfes ») ou älvringar (« cercle d'elfes »). Ces cercles ont donné naissance à de nombreuses légendes au Moyen Âge pour tenter de les expliquer : nymphes, dryades, elfes et gnomes en seraient les responsables. Uriner dans l'un de ces cercles est censé provoquer des maladies vénériennes. Typiquement, ces cercles sont tracés par une multitude de petits champignons, mais ils peuvent être également tracés par le dessin d'herbes foulées contre le sol.
Un excellent fichier PDF ci-après :
Merci à Racines et Traditions en pays d'Europe... Elfe (191.34 Ko)